Chef-d’œuvre transalpin
Ce pavé de 1 400 pages est un monument de la littérature italienne. Publié en 1983 par une petite maison milanaise. Le Cheval rouge avait été quasiment ignoré par la critique à sa sortie. Réédité à trente et une reprises depuis, l’opus d’Eugenio Corti a pris une place majeure en Italie. Fourmillant de personnages dont les récits se succèdent et s’entremêlent, le livre raconte le destin de jeunes gens de la Brianza, une province montagneuse au nord de Monza, entre l’entrée en guerre de l’Italie mussolinienne en 1940 et les années 1970. Natif de cette région profondément catholique qui vit naître le pape Pie XI, Eugenio Corti, pieux lui-même, a mis plus de dix ans pour écrire ce roman. Inspiré de ses propres expériences.
Engagé à 19 ans comme jeune officier, l’auteur s’est retrouvé face aux forces soviétiques. Revenu sur ses terres natales, il a rejoint les troupes italiennes pour lutter aux côtés des alliés en Italie du Sud. De ces combats, il a tiré un récit sans fard, poignant parfois aux limites de l’insoutenable (le « cheval rouge » du titre est celui que monte un des cavaliers de l’Apocalypse). Il faut lire les pages sur la débâcle de Russie, les camps de prisonniers où la faim pousse au cannibalisme.
Dans cette fresque digne de Tolstoï, Hugo ou Soljénitsyne, l’auteur dépeint aussi la péninsule déchirée entre partisans et fascistes, puis une après-guerre où communistes et catholiques se disputent le pouvoir. Eugenio Corti ne laisse pas de doute sur son choix : le livre s’achève sur le référendum de 1974 portant sur l’abrogation du divorce. « Est-ce que tu te rends compte que tous ceux qui détruisent, tous jusqu’au dernier, sont du côté du divorce ? » lance un des personnages principaux. Eugenio Corti s’en prend ici « aux rouges et aux bourgeois » qui anéantissent les valeurs ancrées dans la Brianza. Nul besoin pourtant de partager sa dévotion pour se laisser prendre par cette œuvre magistrale.
(Jean-Marc Gunin, 29/05/20, Figaro Magazine)