Le Cheval rouge d’Eugenio Corti: le bel honneur des lettres italiennes
«Intrépide italien, à quoi bon t’obstiner à réveiller nos pères dans leur tombe, et les faire parler à ce siècle mort sur lequel pèse de telles nuées d’ennui? Et comment reviens-tu si fort à nos oreilles et si souvent, voix antique des nôtres, depuis si longtemps muette?»
Giacomo Leopardi : A l’Italie, 1818
En 1996 paraissait en français, aux éditions de L’Age d’Homme, Le Cheval rouge d’Eugenio Corti qui restera probablement, tant par son ampleur que par son ambition, comme un des grands romans italiens de cette fin de siècle. Publié en mai 1983 chez un modeste éditeur milanais, Le Cheval rouge, en raison à la fois d’un ton qu’on n’entendait plus dans les lettres italiennes depuis Alessandro Manzoni[i], d’un amour pur de la patrie et d’une salutation profonde aux vertus traditionnelles et chrétiennes, s’est progressivement imposé auprès d’un large public de la Péninsule, touché de retrouver là une image vraie de l’héroïsme et des épreuves de l’Italie. Je ne reviendrai pas sur les conditions de ce phénomène littéraire.
François Livi, dans sa préface au roman[ii], a bien marqué que ce dernier était par essence anti-idéologique et que Corti, à l’exemple de Lampedusa, de Morselli, avait bénéficié, par la seule force de son talent, de la reconnaissance populaire obtenue, en grande partie, contre les modes littéraires et le conformisme intellectuel marxisant tout puissant depuis la guerre froide, encore bien vivace dans la tête des faiseurs d’opinion. Bien des lecteurs savaient pourtant qu’il était absurde d’enfermer la production littéraire dans les règles fixées par le Sicilien Elio Vittorini, et qu’il suffisait d’égrener les noms des plus illustres, depuis Bachelli ou D’Annunzio, pour comprendre que les lettres italiennes, un jour ou l’autre, nous donneraient, sans manichéisme, le panorama complet du siècle écoulé en évoquant, avec la compassion qui a tant manqué aux écrivains néoréalistes, tout le destin italien, la souffrance de ses fils et la résistance des consciences face au mal et à la teneur des idéologies modernes.
C’est maintenant chose faite, et nous pouvons remercier Corti de s’être attelé, pendant plus de dix ans, à cette tâche immense. Le voilà donc sur notre table, ce gros livre de plus de mille pages, au titre tiré de l’Apocalypse de saint Jean. Car Le Cheval rouge de Corti est bien celui dont parle l’Apôtre lorsqu’il voit le livre aux sept sceaux et l’Agneau qui, après l’avoir reçu, l’ouvre en levant, l’un après l’autre, chacun des sceaux. C’est le cheval rouge monté du cavalier de la guerre, qui suit le cheval blanc conduit par l’archer couronné, entendu à l’ouverture du second sceau. Il lui est donné «d’ôter la paix de dessus la terre, et de faire que les hommes s’entre-tuassent.»[iii] Titre général donné par Corti à son ouvrage et aussi à la première des trois parties du livre, le cheval rouge, symbole de la guerre universelle comme signe messianique, introduit le roman. Il fera place au cheval livide, entendu à l’ouverture du quatrième sceau, monté du cavalier de la mort et suivi de l’Enfer, qui a pour charge de «faire mourir les hommes par l’épée, par la famine, par la mortalité…»
Une fois sa course arrêtée, lui succède l’arbre de vie, symbole de la nouvelle Jérusalem, sis au milieu de la ville et dont les feuilles sont là «pour guérir les nations.» Corti a ainsi distribué les trois grandes parties de son livre, grandiose évocation de l’histoire italienne depuis la déclaration de guerre de juin 1940 jusqu’au référendum sur le divorce de 1974, selon un tempo et une signification très précise : celle du devenir d’une Italie profondément chrétienne, arrachée à son provincialisme traditionnel, précipitée dans la fournaise de la guerre, humiliée par la défaite, en butte aux ravages des idéologies et au laminoir de ce que Pasolini appellera, peu de temps avant sa mort, le nouveau pouvoir.[iv] Ce faisant, Corti nous laisse entrevoir que le nom de ses enfants de papier peuplant cette vaste fresque est inscrit au Livre de Vie.
Voilà pourquoi, indépendamment de son ambition littéraire et de ses qualités morales dont nous parlerons plus après, une des grandes leçons de ce roman est celle des retrouvailles des lettres italiennes avec «un écrivain sincèrement catholique » et « un grand poète de la foi chrétienne», mots mêmes qu’avait employés L’Osservatore romano, en mai 1873, pour saluer la disparition de Manzoni. Mais, à la différence de l’auteur des «Promessi Sposi», qui penchait pour le Jansénisme[v], Corti n’est pas cet accusateur pessimiste des pouvoirs et des institutions, hanté par la brutalité des puissants et révolté par la violence que fait subir aux hommes la société dans son effort désespéré pour donner un sens à ce qui lui échappe.[vi] S’il fait du Mal, comme Manzoni, l’adversaire absolu, les raisons qu’il fournit sont plus précises et plus convaincantes. Sans doute le grand théâtre de la cruauté qu’est la Lombardie de la guerre de Trente Ans, en proie aux luttes entre Impériaux et Français, aux ravages de la peste, ne change pas beaucoup de celui de la Seconde Guerre mondiale. Mais le Mal n’est pas uniquement cette force dévorante et obscure, assise à l’ombre du péché originel, il a proliféré en notre siècle pour des raisons historiques, politiques et culturelles bien définies dont il importe de cerner les causes afin d’en limiter les effets terrifiants.
Entrons maintenant plus avant dans le livre. La première partie, celle du Cheval rouge, plonge le lecteur à l’époque de la déclaration de guerre et mêle, dans une prose simple où le respect des vies décrites est remarquable, les destinées de jeunes adolescents du pays de la Brianza[vii] – Ambrogio, Bonsaver, Manno, Pierello, Stéphane, Michèle Tintori -conscrits mobilisés de la classe 21 qui seront, à l’exception de Manno envoyé sur le front libyen et de Pierollo en Croatie occupée, affectés dans les divers régiments d’élite du corps expéditionnaire italien – l’Armir -, partie intégrante de la grande armée européenne lancée par le Reich à l’assaut de l’UR.S.S. Ils y trouveront, lors de l’épouvantable retraite de décembre 1942 et janvier 1943, imposée par la percée russe pour dégager Stalingrad, soit la mort, pour Stephano et Bonsaver, soit la captivité, pour Michèle Tintori, soit la souffrance des blessures, pour Ambrogio.
La seconde partie, celle du Cheval livide, retrace la fin de l’Afrique germano-italienne, la fuite audacieuse de Manno hors du sol tunisien pour échapper à l’emprisonnement par les Alliés sur le point de prendre Tunis, l’atmosphère au moment de la chute du Duce, l’affectation du jeune officier en Albanie, où il apprend l’armistice du 8 septembre 1943, son retour sur le sol natal, l’Italie à genoux, au bord de la guerre civile, les Allemands toujours présents, qu’il faut désormais combattre, la mort de Manno dans les premières batailles aux cotés des soldats américains. Entre-temps, Michèle Tintori fait l’expérience de l’univers concentrationnaire soviétique, du cannibalisme des camps, du bourrage de crâne, du mépris absolu du matériel humain dans un régime qui prétendait pourtant n’oeuvrer que pour lui. Le cavalier aux yeux morts fauche désormais les vies à foison.
L’Europe est à feu et à sang. Partout, la liesse des peuples libérés s’accompagne de crimes, de massacres, d’exactions, de désastres. Le front russe, où la vie ne vaut rien, n’est plus que ce brouillard barbare, immense et rouge, où le courage allemand va définitivement succomber. En Italie du Nord, les Allemands, aidés des républicains de Salo, s’arc-boutent avec acharnement ; les forces résistantes et fascistes rivalisent de férocité aux côtés des grandes armées combattantes. Les troupes conquérantes installent la division idéologique de l’Europe et, quand la tuerie générale cesse, la carte de la liberté ou de l’asservissement est désormais fixée pour près de cinquante ans. Pourtant, la troisième partie, celle de l’arbre de vie, redonne aux Italiens leur place en ces nouveaux temps de paix. Qu’en feront-ils toutefois ? Corti suit Ambrogio, qui préside désormais aux destinées de l’usine de son père, et Michèle, revenu des camps soviétiques, devient cet artiste, cet écrivain en qui l’auteur a probablement mis le plus de lui-même et où il n’est pas difficile de voir son porte-parole.[viii]
Trente années de vie politique italienne défilent sous nos yeux depuis la victoire d’Achille De Gasperi aux élections d’avril 1948, qui sauve définitivement l’Italie du communisme, jusqu’au référendum sur le divorce de 1974, qui sonne le glas du pouvoir sans partage de la Démocratie chrétienne et de l’influence du Vatican sur la politique italienne. L’Italie, à l’instar des autres grands pays européens du monde libre, adopte alors ces réformes dont le bilan moral n’est plus à dresser et qui, naturellement, semblent l’avoir vidée de l’énergie nationale dont elle se réclamait jusque-là. Et, lorsque Aima, la femme de Michèle, meurt accidentellement, peu de temps après le référendum de 1974, Corti laisse enfin le lecteur, seul, avec ce grand livre refermé dont le sens, au fil des pages, s’est dessiné avec une netteté remarquable : la vie est un combat pour le royaume qui n’appartient qu’aux hommes de bonne volonté. Je voudrais revenir, tant pour leur valeur descriptive que pour leur résonance dans la littérature italienne, sur ces descriptions du front russe et, notamment, celles des batailles de Meskov, d’Arbousov, de Nikolaïevka, d’Amaoutovo[ix] qui jalonnent la retraite de la fin de l’année 1942 et qui virent l’anéantissement des meilleures unités de Mussolini. Le front russe!
Sommet et symbole de l’affrontement mécanique armé européen, énorme broyeur inutile d’hommes et de vies, chaudière incandescente, hurlante de douleur, où, par pelletés géantes, furent jetées des générations entières, hanteras-tu, domineras-tu encore longtemps de ton aura mythologique faite de courage, de crime et de désespoir la conscience des enfants perdus de l’Europe ?[x] Bal des Ardents à l’échelle des continents, flux et reflux monstrueux entre les deux bornes babyloniennes du XXème siècle, Moscou et Berlin, capitales inoubliables de la cruauté européenne, ce magma effroyable d’héroïsme et de tuerie constitue certainement le plus sinistre des soleils d’acier et de chair qui ont rougeoyé à l’horizon de notre ère.
Luttes sans fin sur les rives glacées du Don ou de la Volga, luttes sans fin dans la houle des champs de blés de l’Ukraine, luttes sans fin dans les marécages et les plaines de Pologne, sur les rivages baltes, dans les fondrières et les bois de bouleaux de Mazurie, dans les villes rasées, dans les derniers retranchements d’une Allemagne à l’agonie[xi] ; masures misérables bondées de blessés, églises incendiées, ghettos rayés de la carte, faubourgs dévastés, populations déplacées, enfants et bêtes massacrés ; nazis bardés de fer, teutoniques sans croix, racistes exterminateurs, ayant rameuté dans leur internationale noire tous les peuples d’Europe, Hongrois, Belges, Français, Roumains, Italiens…; communistes athées, bourreaux à la pesante veste de cuir, philanthropes de la mort, dialecticiens redoutables, rouages diaboliques d’une épuration interminable, étendue à tout l’univers, ayant rameuté dans leur internationale rouge tous les peuples de la terre : les saisons de cet interminable front sont des saisons de mort.
Malaparte, qui parcourra en 1941, comme envoyé spécial dans les fourgons de l’armée allemande, les immenses plaines conquises, écrira plus tard dans «Kaputt» que ce combat titanesque laisserait pour toujours un goût de sang dans la bouche des Européens, et qu’il avait été, à son paroxysme, significatif de l’état auquel était parvenue la condition de l’homme.[xii] Les remarques de l’auteur de «Kaputt» ne doivent cependant pas faire penser que Corti décrit la guerre sur le front russe avec les yeux de ce journaliste incomparable qu’était Malaparte, où le mentir vrai et l’imagination débridée, propres à l’auteur de «Technique du coup d’Etat», firent les délices des lecteurs de l’immédiate après-guerre, fascinés de retrouver dans ce regard littéraire moderne, tragiquement vraisemblable, l’absurde, l’atroce, la déraison de toutes ces années[xiii]. Malaparte n’a pas fait la même guerre que Corti. Le premier fut ce correspondant de guerre célèbre à la plume menteuse, redoutée, loin du front, protégé par Ciano et le colonel Cumming, oscillant entre ses contradictions, ses peurs, ses lâchetés et ses fidélités politiques, tout préoccupé de la construction de sa merveilleuse villa de Capri.[xiv] Le second fut ce tout jeune soldat combattant dont Ambrogio et Michèle sont directement issus.[xv]
Le rapprochement qui s’impose, c’est avec Mario Rigoni Stern qu’il faut le mener. Comme Corti, Mario Rigoni Stern fut, à vingt ans, au sein d’un bataillon d’élite de chasseurs alpins, acteur anonyme de cette retraite du Don où sombra la VlIIème armée italienne. De cette expérience traumatisante naîtra, en 1953, «Le Sergent dans la neige»[xvi], compris immédiatement à sa sortie comme un joyau de la littérature italienne d’après-guerre, et que les enfants étudient à l’école. Une prose simple, précise, rendue comme éternelle par la sourde mélancolie qui s’en dégage ; un texte à la fois limpide et dense où se confondent l’expérience du soldat vaincu, la peur, le courage de l’homme, le regret jamais guéri des amis tombés ; un hymne à la bravoure italienne, tant moquée de nos stratèges en chambre, bien réelle toutefois, mais ensevelie sous le poids honteux de l’impréparation générale et de la débâcle.
Le court livre de Mario Rigoni Stern tend la main au texte fleuve de Corti et le rejoint pour saluer, dans une oeuvre commune de mémoire et de piété, les vies brisées de tous ces jeunes gens qu’ils évoquent à la façon d’un chant d’Homère. Ainsi Mario Rigoni Stern au temps de l’avancée heureuse, malgré les heurts, les blessés, vers les rives du Don : «On était bien dans nos bunkers… On se serait vraiment cru dans nos montagnes, à écouter les bûcherons se héler entre eux.» Ainsi Corti : «Mais, autant dans le secteur de Stefano que dans ceux d’Ambriogo, de Bonsaver, de Luca, de Michèle Tintori, on n’avait de ces combats que de faibles échos, apportés par quelque journal déjà vieux, ou encore par les communiqués de guerre…»
Ainsi Mario Rigoni Stern, lors de la retraite par un froid dantesque, dans la tempête, les bourrasques de givre et de neige, sous les coups de l’ennemi, sans matériel lourd, dans l’abandon et le désordre le plus total : «Y avait-il tant des nôtres en Russie, pour que la colonne fût si longue ? Combien d’avant-postes tels que le nôtre y avait-il eu ? Cette interminable colonne devait hanter mon regard, des mois durant, et ma mémoire à jamais.» Ainsi Corti : «Ils revirent les interminables étendues de neige où, si longtemps qu’on avançât, on avait l’impression de se trouver toujours au même point, ils envisagèrent ces jours et ces nuits de marche dans le climat polaire qui terrorisait même ceux qui n’étaient pas blessés.» Ainsi Mario Rigoni Stern lorsque tout est fini : «Et tant, tant d’autres qui dorment dans les champs de blé parsemés de pavots, ou entre les herbes fleuries de la steppe, avec les vieux des légendes de Gorki et de Gogol. Et les quelques survivants, où sont-ils aujourd’hui?» Ainsi Corti : «Chacun en son for intérieur se voyait avec une invincible répulsion cadavre sur la neige, pareil aux cadavres qui s’y trouvaient déjà, misérables petits tas de chair congelée et de loques.»
Comme si le jeune sergent chef alpin et le lieutenant d’artillerie avaient choisi l’écriture pour ramener cette page d’histoire à la compréhension des vivants, pour leur offrir la douleur de la guerre, pour accueillir enfin ceux qui ne sont pas revenus dans leurs foyers, pour honorer leurs nouveaux enfants venus des quatre coins du pays – vous vous souvenez bien, n’est ce pas, ceux qui ânonnaient, petits, sous la férule de maîtres s’évertuant à leur enseigner la noble tâche du Risorgimento, ceux qui aidaient le père à la ferme et aux champs, ceux qui n’étaient jamais malades, ceux qui posaient sur les photographies avec toute la famille, ceux qui, devenus grands, pensaient aux filles, voulaient s’établir… – naïf troupeau de paysans, d’artisans, d’ouvriers, d’étudiants, aux mille et un dialectes, lancés dans cette aventure qui les tuera, les mutilera ou les laissera, pantelants, au bord de la vie avec des larmes plein les yeux.[xvii]
C’est comme si tous deux avaient donné corps à la prophétie de Leopardi, écrite cent vingt-cinq ans plus tôt[xviii], qui prédisait la chute des fils d’Italie, «légion par légion, à demi nus, défaits, ensanglantés», «leurs cadavres abandonnés sans sépulture sur cette horrible mer neigeuse», entendait «leur plainte par le boréal désert et les sylves sifflantes» et annonçait que, dans ce malheur infini, «le nom des vaillants et des forts ne cessera jamais d’être confondu avec celui des lâches et des vils.»[xix] Mais Mario Rigoni Stern, moraliste pacifique, «écrivain de paix qui parle de la guerre», rédige pour mettre au cœur de son oeuvre sa propre expérience, celle de ses souffrances physiques et morales. Corti, en revanche, porte en lui tout un univers et atteint, par son ampleur, aux dimensions de «La Guerre et la Paix» ou de «Vie et Destin.»[xx] Le romancier décrit les trains du corps expéditionnaire, les mois de l’avance italienne, les premiers combats, les positions au bord du Don, les champs de bataille de la retraite, la débandade des unités, le piège de la poche, les onze percées successives, les pertes effroyables.
Il embrasse ces scènes dans une vision globale, mêle les destins individuels aux mouvements des bataillons, des régiments, des armées, passe à l’ennemi, revient au cœur des lignes, s’introduit dans les isbas à la puanteur épouvantable, dans les tranchées, sonde les consciences, assiste les agonisants. On s’écroule avec les faibles, on marche et on combat avec les Alpins et les Bersagliers, on y côtoie les luges couvertes de blessés, les officiers désemparés, perdus, les mules harassées et vaillantes. (Mais oui ! La souffrance des animaux !) On entend les chars lourds à l’approche, les canons tonner. Partout le gel, les températures inhumaines, la nature indifférente et hostile. Partout la mort, les mortiers russes, le combat à dix contre cent. Partout des hommes livrés au néant qui s’acharnent à passer coûte que coûte pour ne pas mourir.
Mais il y a plus. L’auteur, en romancier chrétien, donne un sens métaphysique au grincement cauchemardesque de la meule des événements. De nombreuses digressions et notes, religieuses, sociales, politiques, – procédé cher à Corti – émaillent le déroulement de l’action et forgent cette perspective métaphysique, voulue passionnément par le romancier : toutes les pages du livre ne sont qu’une lente préparation à la proclamation de la valeur de la vision chrétienne de l’histoire, et, de ce fait, aux preuves que c’est folie de s’en écarter. Ambrogio et Michèle avaient demandé, lors de leur affectation, la Russie pour comprendre à quoi ressemblait cette entreprise unique, «cette rédemption de l’homme et de la société en dehors du Christ et du christianisme, et même contre le Christ.»[xxi] Ils en découvrent les prémices dans les visages terriblement usés des paysans[xxii], ils devinent ce que furent, «en dépit de l’accablant fatalisme des Russes», la terrible famine planifiée de 1931, les horreurs de la collectivisation, les fusillades d’orphelins, la Grande Terreur.
Toutes ces notes et réflexions sont comme une propédeutique à ce que confirmera le Cheval livide, lorsque Michèle sera passé de l’autre côté, celui des camps soviétiques, miroirs fidèles et multiples de l’entreprise communiste. La course des événements familiarise ainsi progressivement les jeunes soldats à la découverte de ce qu’ils pensaient intuitivement, qu’ils avaient appris à l’aune de l’enseignement de l’Eglise et des leçons familiales, il leur appartient maintenant d’en faire l’expérience dans leur chair, de mettre un visage sur le mal, d’en respirer l’haleine délétère, et, s’ils en réchappent, de comprendre que leur combat pour la survie, leur témoignage, se doublent à jamais d’une autre guerre : celle des idées où se défend la valeur insurpassable de la cité chrétienne. Au fond, Corti ne fait que dire : le totalitarisme est l’enfant du Mal, le volontarisme athée débouche sur une catastrophe, l’homme comme horizon de l’homme reste une monstruosité. Tout se tient.
Le Mal est cette roue d’Ixion qui écrase tout, que pousseront sans cesse sur la terre les régimes montés à l’assaut de Dieu. Cette découverte, il appartiendra à Michèle Tintori, le premier, de la voir à l’œuvre au «Lager 74» pour prisonniers de guerre, celui de Krivovaïa, où règne le cannibalisme.[xxiii] Les pages où le jeune officier, miraculé des griffes de la police militaire russe et du commissaire politique italien, sorte de Boudarel d’avant le temps, découvre, pour la première fois, dans l’obscurité de la nuit, les piles de cadavres nus sur la neige sale, la bouche grande ouverte, et pressent les détenus accroupis autour de ce ragoût infâme sont, incontestablement, les plus dures du livre. Suivront celles des écuries aux couloirs pestilentiels, couverts de sang diarrhéique, véritables porcheries humaines, celles de la distribution de lavasse où meurt ébouillanté le soldat fermier du district de Pavie, celles de la bagarre hallucinante pour avoir du sang frais, et, les plus atroces de toutes, celles où, dans un baraquement de soldats, Michèle voit, horrifié, assis et rangés dans un ordre impeccable, les morts et les vivants, attendant un pain qui ne sera jamais distribué.[xxiv] Qui ne se rappelle la scène de l’étuve des forçats dans les «Souvenirs de la Maison des Morts» de Dostoïevski ? Mais les directives changent lorsque les Bolcheviks entrevoient qu’ils peuvent gagner la guerre et asseoir la Révolution mondiale. Michèle assiste au conditionnement psychologique des prisonniers, à la fermentation de la propagande, à la réactivation de la dialectique binaire – fascisme/antifascisme — qui restera à jamais le symbole, le lit de Procuste de notre servitude.
Car, chose étrange, et comme pour donner raison à la marche du communisme, à la Passion selon le bourreau russe répond la Passion selon le bourreau allemand. Manno, en Albanie, assiste au désarroi italien qui suit l’armistice. Corti montre l’ancien partenaire de l’Axe, brutalement ennemi, le mépris des Allemands, longtemps contenu, déchaîné à l’égard de leurs pitoyables adversaires, leurs crimes de guerre, la parole bafouée, les officiers italiens systématiquement fusillés, à Céphalonie, à Corfou, à Porto Limone, la fin sans gloire de l’occupation italienne dans des Balkans et une Grèce infestés de partisans et, là aussi, devenus le théâtre d’une haine dévorante.[xxv] D’ailleurs, le jeune lieutenant russe, qui sauva Michèle lors de la retraite sur le Don, l’avait compris : «Là où il s’agit de tuer, les Allemands ne peuvent pas être absents.»[xxvi] Reviennent alors, pêle-mêle à la mémoire des jeunes gens, les crimes de guerre sur les prisonniers soviétiques, le massacre des Juifs de Vorochilovgrad, les considérations d’Ambrogio sur les paroles de Pie XI qui désignaient, avant la guerre, les antéchrists au sens évangélique du terme, l’appréhension que ces Allemands invincibles sont bien, eux aussi, les séides d’une idéologie de terreur et de destruction.
La terrible histoire recommence comme toujours. Et les pièces de ce puzzle démoniaque commencent à se mettre en ordre. Michèle voit désormais la réalité communiste tout entière. «Loger» de femmes, d’enfants, déportés innocents, condamnés, toute une société oscillant entre hécatombe, peur, délation, mensonge : la connaissance toujours plus claire qu’il acquiert de l’expérience lui donne à la fois l’explication générale du projet communiste – massacrer est le mécanisme bien huilé de la violence devant accoucher de l’homme neuf – et la clef pour interpréter l’autre tentative totalitaire du siècle, le nazisme, frère jumeau concurrent, frère jumeau zélé à la régénération de la société[xxvii]. L’histoire se dévoile comme une grande leçon. Elle déploie sa documentation sanglante, et, au-delà des événements, Michèle et Ambrogio découvrent maintenant sa signification comme à livre ouvert.
La mort de Manno, à la bataille de Montelungo, un des avant-postes de Monte Cassino, emporté par son ange gardien – Vous avez bien lu ! Par son ange gardien ! – sonne pour l’Italie comme le chant de la résurrection. Mais il faut que la haine aille au bout de sa logique et recouvre tout. Les pages où Corti retrace les épisodes de la Résistance, au-delà de l’énorme travail de documentation qu’il a fallu à l’auteur, au-delà de la vision des combats, au-delà des rivalités entre maquisards royalistes, démocrates, communistes, baignent aussi dans cette terrible réalité. La roue rouge tourne à toute vitesse. Le personnage de Praga, en qui Corti voyait la figure moderne du possédé, montre que les partisans communistes font couler le sang comme de l’eau.[xxviii]
Tout est affreusement mêlé, la liesse avec le désespoir, les retrouvailles avec les massacres, la liberté avec les cachots, et force est de se demander ce qu’il serait advenu de l’Europe si les Alliés n’avaient couvert de leur autorité les zones libérées.[xxix] De cela, Corti ne cache rien. Pendant ce temps, le front allemand craque en Prusse orientale, et Pierello assiste à des scènes apocalyptiques : viols collectifs, pendaisons de déserteurs, gamins et vieillards en armes, cohortes de civils réfugiés, esclaves de la propagande, tirant leurs charrettes, en fuite sur des routes encombrées, sur des marais gelés, sur des bandes sableuses vers Königsberg, vers Danzig, vers une hypothétique protection. La vengeance des hommes chauffe à blanc la tuerie dans un crescendo épouvantable, que plus rien ne peut briser, qui doit aller jusqu’au bout de sa course folle, l’anéantissement de l’autre, et Pierrolo, comme Tiffauges, pourrait citer les paroles de Notre Seigneur qui semblent résumer toute la misère de ces temps : «Priez pour que votre fuite n’ait pas lieu en hiver…»[xxx]
La guerre touche désormais à sa fin. Ambrogio, qui se remet de ses blessures après avoir frôlé la mort, Pierollo, les rescapés retrouvent avec soulagement l’Italie, pourtant complètement dévastée. La vie civile, les émois amoureux, les devoirs d’état, les combats et les luttes, maintenant politiques, pour la reconstruction du pays au sein du Comité de Libération Nationale, reprennent leurs droits. Michèle, lui, revient des camps en septembre 1946, après avoir perfectionné, si l’on peut dire, son enseignement : drainage vers la Kolyma des peuples d’Europe orientale «libérés», trains de déportés roumains où se répètent les scènes de cannibalisme, enfants des républicains espagnols arrachés à leurs parents et transformés en bêtes, commissaires politiques – on lira le portrait du commissaire Robotti, beau-frère de Palmiro Togliatti[xxxi] – qui nient la réalité pour sauver le messianisme des idées, et, surtout, découverte des camps nazis d’extermination qui réduit à néant les accusations « d’arriération russe », commodément avancées pour minimiser l’ampleur du crime soviétique, et met les deux régimes à triste égalité.
Il sait, d’un savoir absolu, que la lutte contre le Mal est au cœur de la vie du monde. Il nomme maintenant, avec les seuls termes qui leur conviennent, cette incroyable quincaillerie philosophique des deux derniers siècles écoulés – tribunal de l’Histoire, lutte des classes, renversement dialectique, lois scientifiques, prolétariat élu, Soviets et électricité, révolution permanente, réalisme socialiste… – et cette affolante galerie de démons qui y ont mijoté leur cuisine à goût de viscères – Locomotive de l’Histoire, Petit Père des peuples, Grand Timonier, Lider Maximo, Frère n°1, Génie des Carpates… Cela restera le plus grand mystère de ce siècle, prétendument intellectuel, prétendument salvateur, d’avoir cru à tous ces boniments et d’avoir plié le monde à ces assassins, de ne pas avoir compris, finalement, que l’amour de la vie était infiniment supérieur à tout cela.
Eh oui, chers intellectuels, savants, professeurs, artistes, éducateurs, vous défilez maintenant devant nous, entonnant à nouveau d’une voix rouillée votre péan à la gloire de l’homme en construction, nous savons bien qui vous êtes ! Et nous, Français, qui avions ouvert le bal, qu’avons-nous à dire de si précieux avec nos charmants philosophes, à l’instar de notre bon Diderot qui voyait déjà en Catherine II, ce tyran abominable, “la Sémiramis du Nord” ?
Car Michèle raconte aux Italiens une histoire qui dérange – le mot de Pascal, «les hommes ont mépris pour la religion ; ils ont en haine et peur qu’elle soit vraie», est d’une actualité immuable[xxxii] et le premier livre qu’il publie en 1947, la tragédie qu’il donne, quatorze années plus tard[xxxiii], se heurtent au mur de l’incompréhension, de l’ignorance, de la paresse intellectuelle, mais, surtout, à la peste des disciples de Gramsci et consorts, à la conscience sélective et honteuse de la majorité des démocrates chrétiens. Toutefois, la communauté des saints protège l’Italie, et, sous la plume du romancier, se succèdent ces lignes étonnantes où la Providence ne cesse de se manifester : soliloque de Togliatti, élections du 18 avril 1948, reconstruction enthousiasmante suivie, malheureusement, de l’instabilité politique, entrée de Rodolfo au séminaire…
Sont évoqués de même, avec beaucoup d’amertume et de foi, la solitude littéraire de Michèle, pourtant détenteur d’une expérience ignorée de la culture italienne, la figure insultée de Pie XII, les temps douloureux du Concile, l’effondrement de la puissance tutélaire de l’Eglise, la rapide évolution des moeurs… Autant de pages arrimées aux desseins inconnus de Dieu. La défaite du Non au référendum sur le divorce, qui coïncide avec la mort d’Alma, compagne lumineuse, tuée dans un accident d’automobile par un drogué, échoue à bloquer la dernière possibilité de résister à la déchristianisation de la société italienne.
Un autre temps commence. C’est le nôtre, et son histoire reste à écrire. Se lèvera-t-il du Frioul, des Marches, de l’Ombrie, de Sicile, le poète italien qui reprendra la parole ? Mais voilà, le livre est terminé. Corti, comme il l’avait ardemment souhaité tout au long de sa vie, a livré le bon combat.
A nous, catholiques, il donne un livre rare, construit. Un livre où il réaffirme ce que nous n’aurions jamais dû oublier : que le piège du monde prend la forme du messianisme, qu’il soit ce marxisme de sinistre mémoire ou, comme Le Cheval rouge le suggère fortement dans son évocation des années soixante et du Concile, ce christianisme d’avant-garde, que l’histoire des hommes est pourtant simple, qu’il s’agit de la lutte du Bien contre le Mal, que la figure des pasteurs du passé est indéfectible, que la cité terrestre suppose humilité et patience, que l’Eglise est un rempart, que la Contre-Réforme fut ouvrage de génie et, qu’en définitive, la volonté de progrès ne se fait pas contre la vie présente, mais avec elle et pour elle. Je laisse les lecteurs se nourrir aux vertus de ce grand livre et y voir la signification chrétienne de notre époque.
En le lisant, ils penseront aussi au Tolstoï des années qui suivirent « Anna Karénine », celui du «Père Serge», du «Faux coupon», du prince Nekhlioudov, au Tolstoï qui nous avait assurés, malgré son mépris aveugle des «idoles», que la réforme ne peut être qu’intérieure et qu’il est du devoir de l’écrivain de se mettre au service de la compassion évangélique. Ils penseront à Pasternak qui voyait, depuis la Révolution de 1917, le figuré devenir littéral, les terreurs devenir terribles. Es penseront à Vassili Grossman, à sa tristesse, à toutes ces vies brisées, à tous ces témoins silencieux, à la place si faible de la bonté humaine dans le déroulement des années. Ils penseront aux textes du Pasolini de la fin, à son regret du «monde paysan prénational et préindustriel », à son effroi devant la disparition de « l’âge du pain», à sa peur du nouveau pouvoir.[xxxiv]
Es penseront à l’Italie d’autrefois magnifiée par Sandro Penna dans Un peu de fièvre, par Bassani dans L’Odeur du foin. Ils penseront à Ignazio Silone, ancien membre fondateur du P.C.I., déclarant, en 1949, à Maurice Nadeau que la seule révolution véritable en Italie sera à l’exemple de celle de saint François d’Assise. Ils penseront à Alberto Moravia évoquant à la fin de la guerre la résurrection de Lazare.[xxxv] Quelle leçon ! Quelle revanche sur le siècle ! Comme la littérature est puissante ! «Quel jardinier bizarre est le maître qui’ fait attendre à celui qui plante un arbre qu’il soit mort avant de laisser mûrir le fruit»![xxxvi]
Et peut-être verront-ils, au bout du compte. Le Cheval rouge non seulement comme un grand livre de littérature, mais encore comme la part d’honneur catholique que les lettres italiennes offrent à notre temps.
[i] Alessandio Manzoni (1785-1873). Les lecteurs de Certitudes se doivent de lire, s’ils ne l’ont déjà fait, Les Fiancés — Histoire milanaise du XVIIème siècle, véritable classique des lettres italiennes au XVIIèrne siècle, dont Goethe surveilla la genèse, et qui fut loué par Balzac et Lamartine à sa parution, en 1842, mais qui reste encore aujourd’hui trop ignoré de la France. Manzoni porta en lui ce livre, sous des formes successives, pendant plus de vingt ans et, en le publiant, il donna au roman historique catholique une profondeur jusque -à inconnue au temps du Romantisme européen. Le parallèle avec Eugenio Corti est évident.
[ii] François Livi. Préface au Cheval rouge. Editions de L’Age d’Homme.
[iii] Apocalypse de Jean. Traduction de Bossuet. Je n’ai aucune compétence pour procéder à une exégèse du texte de l’Apôtre. Je sais seulement que les quatre cavaliers de couleur de l’Apocalypse annoncent les fléaux qui s’abattront sur le monde, et que Corti a suivi la symbolique de Jean en prenant pour image de la guerre, le cheval rouge, et de la mort, le cheval livide.
[iv] «Mais je connais – car je les vois et les vis- quelques-unes des caractéristiques de ce nouveau pouvoir qui n’a pas encore de visage: par exemple, son refus du vieux sandéfisme et du vieux cléricalisme, sa décision d’abandonner l’Eglise, sa détermination (couronnée de succès) de transformer paysans et sous-prolétaires en petits-bougeois, et, surtout, son ardeur cosmique, à aller jusqu’au bout du “développement”: produire et consommer.» Pier Paolo Pasolini Le véritable fascisme et donc le véritable antifascisme 24 juin 1974. Nous rappellerons, à propos de L’arbre de vie, ces textes polémiques de Pasolini, rassemblés par Flammarion dans le recueil intitulé Ecrits corsaires, concernant ce que le cinéaste écrivain appelait «la mutation anthropotogrigue des Italiens.» Il est vrai que le cinéaste écrivain fut, à mon sens, un des plus prophétiques et perspicaces commentateurs de révolution de la société et de la politique italiennes à partir des années soixante.
[v] Après sa conversion à Paris en 1810, conversion brutale et miraculeuse, le jour même du mariage de Napoléon et de Marie-Louise, Manzoni fréquenta longuement l’abbé Dègola, prêtre génois lié aux jansénistes français et qui œuvrait alors à la conversion des calvinistes, il en restera marqué toute sa vie. Sur l’itinéraire spirituel de l’écrivain, il faut lire l’admirable préface de Giovanni Macchia que Gallimard a eu le bon goût de faire figurer en tête de l’édition de poche du chef-d’œuvre de Manzoni. (Les Fiancés Folio classique -n°2527)
[vi] C’est vrai que Les Fiancés se terminent bien, que Renzo et Lucia, après bien des errances, convoleront, et que cette fin heureuse, si souvent soulignée par les commentateurs, semble abolir les épreuves traversées par les deux jeunes gens. Je pense toutefois que Les Fiancés, si l’on accepte de considérer que le livre fut écrit au temps du Romantisme, c’est-à-dire selon les canons littéraires en vigueur avant le grand courant réaliste, est un livre beaucoup plus noir que Le Cheval rouge, car le destin, contre lequel on ne peut se rebeller, y est tout puissant, et l’acceptation chrétienne et les vertus évangéliques, bien que très fortement marquées, s’apparentent souvent à certaines formes du stoïcisme.
[vii] En Lombardie, au nord de Monza, région formée de collines constituées par un amphithéâtre morainique.
[viii] Michèle, «le plus ouvertement autobiographique des personnages du roman…» François Livi. Dans le tourbillon de l’histoire Postface au Cheval rouge.
[ix] Sur la ligne de retraite vers le front mobile allemand qui protège Kharkov.
[x] «A quoi rêvait-il, Verret, devant son alcool ?A la fingueuse de Baader ? A la petite fille du pasteur de Stuttgart à laquelle il faisait réciter Lamartine ? Aux garçons de la L.V.F. qu’il avait peut-être désespéré rejoindre dans les plaines de Poméranie?» Jacques Chessex. L’Ogre Merveilleux Prix Concourt 1973
[xi] «A chaque pas, Tiffauges rencontrait des Jungmannen tués, les uns intacts et comme endormis, isolément ou par grappes – et il songeait avec un déchirement à l’hypnodrome -, d’autres mutilés, déchiquetés, méconnaissables.» Michel Tournier. Le Roi des Aulnes Prix Goncourt 1970. Livre sublime, superbement écrit.
[xii] «Le héros principal est Kaputt. monstre gai et cruel. Aucun mot mieux que cette dure et quasi mystérieuse expression allemande: “Kaputf”, qui signifie littéralement : brisé, fini, réduit en miettes, perdu, ne saurait mieux indiquer ce que nous sommes, ce qu’est l’Europe, dorénavant : un amoncellement de débris.» Malaparte. Préface de Kaputt
[xiii] Kaputt, prolongement littéraire des articles de sa correspondance de guerre, rassemblés sous le titre La Volga naît en Europe, fut publié en 1944 à Naples. Il s’agit de la peinture de l’Europe occupée par les Allemands. En 1949, Malaparte donnera la seconde partie de cette fresque fabuleuse, La Peau. Cette fois-ci, il s’agit de décrire l’Europe libérée par les Alliés. Les deux livres, incroyablement pessimistes et cruels, sont extraordinaires et eurent, à l’époque, un succès considérable. Mais à cette date, l’écrivain s’éloigne de son génie.
[xiv] Malaparte y reçut le maréchal Rommel, peu avant El Alamein, auquel il fit croire qu’il avait “dessiné le paysage” ! Ironie de la vie, c’est dans ces mêmes lieux que fut porté à l’écran, vingt ans plus tard. Le Mépris d’Alberto Moravia.
[xv] Comme Corti, mobilisé en février 1941 à la caserne du 21ème régiment d’artillerie à Piacenza. Parole d’un romancier chrétien Editions de L’Age d’Homme.
[xvi] Le Sergent dans la neige Editions 10/18 – n°2634. Mario Rigoni Stern, natif du plateau d’Asiago, à la limite de la Vénétie et de la province de Trente, est un des écrivains italiens contemporains les plus admirés aujourd’hui pour la qualité de sa langue et la force morale qui se dégage de son oeuvre. Les éditions 10/18, Desjonquères, Laffont et La Fosse aux ours ont publié l’essentiel de son oeuvre. Son autre chef-d’œuvre – Histoire de Töonle -, qui relate, en outre, les combats de la Première Guerre mondiale dans la région du plateau, est une méditation empreinte de détachement sur la notion moderne de frontière, et d’émotion poétique sur la destruction de l’ordre traditionnel de la civilisation des Septs-Communes. Lire l’article chaleureux de Sébastien Lapaque dans le Figaro littéraire du 27 septembre 2001 L’adieu aux armes de Mario Rigoni Stern.
[xvii] Sur le monument de Dante en préparation à Florence.
[xviii] Mario Rigoni Stern. Retour sur le Don Editions Desjonquères.
[xix] Près de 78500 hommes de L’ARMIR mourront ainsi sur les champs de bataille ou dans les loger soviétiques. Le Cheval rouge (page 510)
[xx] Vassili Grossman. Vie et Destin Editions L’Age d’Homme. 1980. François Furet disait qu’il s’agissait « d’un des livres les plus tristes du siècle. »
[xxi] Le Cheval rouge (page 117)
[xxii] « L’aspect des Russes sous Staline, qui ne sortirait plus jamais de la mémoire d’Ambrogio » (page 134)
[xxiii] « Mais comment pourrions-nous imaginer ne pas avoir faim ? Le Lager est la faim : nous sommes nous-mêmes la faim, la faim incarnée. » Primo Levi Si c’est un homme 1958
[xxiv] Le Cheval rouge (pages 485 à 513)
[xxv] Voir le beau livre, très prenant, de Louis de Bemières La mandoline du capitaine Corelli (Folio – n°3148), publié en 1994, qui retrace, notamment, les derniers combats de la Division Acqui sur l’île de Céphalonie, porté récemment à l’écran, avec beaucoup de fidélité et de poésie, par John Madden et qui fut, on se demande bien pourquoi, descendu en flammes par les critiques.
[xxvi] Le Cheval rouge (page 348)
[xxvii] Le Cheval rouge (page 606) – « Ils refusèrent une fois de plus de se transformer : tout le prolétariat continua à grouiller d’égoïstes. Voilà pourquoi une fois encore, nous dûmes, malgré nous, recommencer à tuer. (…) Cette fois-ci, nous ne nous arrêterons pas en chemin. » 3ème soliloque de Staline. Eugenio Corti Procès et mort de Staline
[xxviii] «Je n’ai pu parvenir qu’à cette conclusion: quand ils n’ont pas été des parasites inutiles et traîtres, les communistes se sont conduits avec une barbarie inqualifiable. (…) Tïto lui-même les a abandonnés, apparemment écœuré, bien que leurs procédés leur soient venus de lui et des nazis, et qu’ils aient été identiques à ceux qu’il a utilisés avec tant de cynisme et de succès contre son peuple et les malheureux soldats italiens qui sont allés se battre pour lui en toute bonne foi.» Louis de Bemières La mandoline du capitaine Coreffi.
[xxix] Comme en France, et exactement pour les mêmes raisons idéologiques, les exactions de la Résistance communiste – particulièrement dans ce que l’on appela, en Italie du Nord, Le triangle de la mort – feront, de la part de l’intelligentsia, notamment en ce qui concerne les assassinats de prêtres, l’objet d’un silence scandaleux. « Avec un peu de perspective, on peut affirmer aujourd’hui que ces mois qui ont suivi la guerre ont été la période la plus honteuse de toute l’histoire de l’Italie. » Eugenio Corti. Parole d’un romancier chrétien
[xxx] Admirablement citée par Michel Toumier dans Le Roi des Aulnes
[xxxi] Le Cheval rouge (page 788 à 791)
[xxxii] Pensées
[xxxiii] Allusion aux livres de Corti La plupart ne reviennent pas, Les derniers soldats du Roi, et Procès et mort de Staline, publiés respectivement en 1947,1951 et 1962.
[xxxiv] Pier Paolo Pasolini. Etroitesse de l’histoire et immensité du monde paysan 1974
[xxxv] La Ciociara 1957
[xxxvi] Jean-Paul de Dadelsen Jonas
(Olivier de Boisboissel, ottobre/novembre/dicembre 2001, Nouvelle revue Certitudes)